Mathilde Gaudéchoux est une journaliste de 29 ans. Elle a publié le 26 août 2015 le livre Ma ville à deux balles, génération débrouille, coréalisé avec la photojournaliste Sophie Brändström. Avec cet ouvrage, le lecteur est plongé dans l’économie du partage, en suivant les parcours de vie de jeunes de la génération Y.
Comment les protagonistes du livre incarnent la débrouillardise, au sein de la civilisation du partage ?
Mathilde Gaudéchoux : Thaïs croit en
l'économie collaborative, à la puissance et à l’efficacité des réseaux sociaux
et au fait de se réapproprier le temps et la matière. Dans son quotidien elle
fait attention à mieux consommer, à gommer les intermédiaires et à faire par elle-même.
Par exemple, elle fabrique ses vêtements, ses crèmes, ses produits d’entretien
ménagers, etc.
L’idéal de Kevin,
c'est la liberté. Il concrétise ça surtout au travers du logement : il
ouvre des squats et y habite avec d'autres personnes. Il partage son
savoir-faire dans la rénovation des lieux et dans l'organisation des
évènements, tels que les soirées poésie. Kevin connait aussi les boulangeries,
les magasins, les marchés qui donnent les invendus.
Thomas est axé
sur le développement durable. Il a créé une association pour mener à bien son
projet de cinéma solaire, un cinéma ambulant qui projette des films sur
l'écologie. Il utilise beaucoup les réseaux sociaux, le crowdfunding pour
pérenniser son projet.
Mickael est un
super bricoleur qui récupère plein d'objets. Jenifer et son copain
viennent de déménager dans une maison dans le Lot, afin de construire un
éco-village. Manon et Pierre vivent dans une yourte. Comme Romain, ils
pratiquent l’échange de savoir-faire et la mutualisation des ressources.
Par exemple ils se disent : « Tu sais faire du pain, moi je sais
cultiver des tomates. Ca tombe bien, on échange ! ».
Pourquoi avoir écrit un livre sur une génération Y précaire, créatrice et utilisatrice d’une économie de partage ?
Sophie Brändström a réalisé en novembre 2013 le web documentaire Ma vie à deux balles. Il creusait cette
thématique de l’économie collaborative par les expériences de jeunes dans la
précarité. J’ai contribué à la rédaction des portraits de ces jeunes. Par la
suite, la maison d’édition Les liens qui libèrent nous a contactées, afin
d’approfondir la question. Cela nous a pris deux ans pour mener cette enquête.
Le livre Ma vie à deux balles est un
plaidoyer pour se créer un réseau social, aller vers l’autre et entreprendre
avec autrui.
Mathilde Gaudéchoux,
co-auteure du livre Ma vie à deux balles, Génération débrouille - ©Thomas
Masson
|
Pendant l’écriture de ce livre, j’ai rencontré beaucoup de
jeunes très créatifs et débrouillards. Quand on n’a pas beaucoup d’argent, il
faut compenser par plein d’idées ! Beaucoup d’ entre-eux mettent en œuvre
les préceptes de Pierre Rabhi, au
sujet de la sobriété heureuse et de la simplicité volontaire. Ces jeunes
ralentissent, ils prennent le temps de cuisiner, de bricoler, etc. Ils
pratiquent une forme de décroissance volontaire.
Je crois beaucoup au fait d’avoir une vie plus simple, de
consommer d’une manière responsable. Je crois aussi beaucoup à la gentillesse,
à l’ouverture aux autres : en rendant des services on reçoit en retour,
les gens égoïstes s’isolent d’eux-mêmes. La rencontre également est cruciale,
elle peut changer tout un parcours.
Que retenez-vous de cette génération Y, de leur monde collaboratif ?
C’est difficile de faire un portrait-robot type de la
génération « Why ? ». Mais il existe un socle commun : un besoin
de liberté sans doute plus important que pour les générations
précédentes ; l’envie de trouver du sens dans ce qu’ils entreprennent et de
reprendre les rênes de leurs vies. Ils font cela, quitte à renoncer au confort et à
un salaire élevé, cela porte un nom : le job-out. Cela montre que ces jeunes s’écoutent
d’avantage et qu’ils prêtent moins d’attention à faire des choses uniquement pour
être bien vus. Ce sont des jeunes qui sont dans la construction de soi.
Il est frappant de constater que les jeunes d’aujourd’hui
choisissent délibérément de vivre dans cette société de la débrouille.
Contrairement à leurs ainés, ils en tirent plus une situation positive. Ils ne
subissent pas la précarité et sont extrêmement créatifs. Je parle bien sûr de
jeunes dans une précarité intermédiaire, c'est-à-dire pas ceux qui sont dans
une situation de grande exclusion.
Quel est le lien entre les réseaux sociaux et l’économie du partage ?
En ce qui concerne l’économie du partage, elle existe depuis
tous les temps. L’utilisation de cette économie est viable à partir du moment
où elle répond à des besoins simples et essentiels, comme se nourrir, se
déplacer ou se loger. Elle a toujours existé, mais à une échelle plus locale.
Je pense notamment au SEL, système d’échange local, qui permet d’échanger des
objets et des services entre voisins. Ce mouvement est apparut en 1930 dans une
petite ville d’Autriche. Aujourd’hui, le
principe est repris par Talentroc et Mon
petit voisinage par exemple.
Depuis l’essor d’Internet, on part d’une pratique qui existe
depuis toujours et on la calque sur les réseaux sociaux. Cela permet une
diffusion plus large. Avec les réseaux sociaux on change d’échelle, on sort du
cercle local et amical. La génération Y, ultra-connectée, utilise beaucoup
l’économie du partage. Et c’est encore plus le cas pour la génération Z. Après,
les réseaux sociaux sont juste un outil. Le plus important reste la rencontre
réelle, basée sur la confiance. La génération Y est capable d’aller dormir chez
des inconnus en louant un logement sur BedyCasa. Elle fait aussi des
trajets avec des personnes qu’elle n’a jamais vues avant, en utilisant Covoiturage-libre.fr
par exemple.
Avec cette économie collaborative, on prend plus le temps,
on fait des économies et on peut rencontrer des personnes. Après, cette
économie n’est pas qu’une économie ‘Bisounours’. Elle répond à des besoins
concrets, dans une logique de gagnant-gagnant.
Thomas Masson
@Alter_Egaux
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