Selon l’étude de l’INSEE et de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR), publiée le jeudi 19 juin 2014, sur les 28 800 sans-domicile-fixe parisiens, 31% ont un emploi. Entretien avec Vincent, guide touristique sur Paris et SDF.
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Vincent, SDF et guide touristique - ©Thomas MASSON |
Vincent,
39 ans, SDF depuis trois ans, porte des lunettes qui cachent ses yeux
verts. Ses cheveux sont châtain clair, couleur paille. Ses sourcils
sont broussailleux. Son visage est teinté de rose. Depuis février
2014 il travaille pour l’Alternative Urbaine, entreprise
individuelle qui fait visiter Paris de manière alternative (voir le
reportage ci-après).
Nous
sommes face à face, assis sur une terrasse d’un bistro du 20e
arrondissement de Paris. Autour de nous, des gens parlent une langue
qui m’est inconnue, tandis que d’autres clients rient. Tout le
long de l’interview, se sera un défilé de voiture, de bus, de
motos qui klaxonnent et fon vrombir leurs moteurs. Certains chiens,
en se croisant, s’aboient dessus.
Avant
que l’interview ne commence, entre une bouffé de cigarette roulée
et une gorgée de café, Vincent m’apprend que Mai 68 « est
parti de l’Université de Nanterre, parce que les dortoirs étaient
séparés et que la mixité était interdite ».
Vincent, comment avez-vous été recruté pour ce poste ?
J’ai
répondu à une offre parue sur Pôle Emploi.
Quand
j’ai vu l’annonce et Selma (Selma
Sardouk est la créatrice de l’association L’Alternative Urbaine,
qui emploie des SDF en tant qu’accompagnateurs touristiques),
je me suis posé des questions. Car pour moi Selma était
relativement jeune et son site internent n’avait pas l’air
très actif. Je me suis demandé « où je mets les pieds !? ».
Puis,
j’ai été rassuré par Selma et je me suis dit « on va voir
que qu’il va se passer ».
Il
se tait, pour réfléchir et prendre le temps de peser ses mots. Puis
il reprend le cours de sa pensée.
C’est
comme ça qu’il faut faire dans la vie : laisser les gens
essayer. On a le droit de se tromper.
A
côté de ce métier, je suis aussi bénévole chez l’association
Autre Monde, où je fais des maraudes.
Vincent, pouvez-vous me dire ce que vous pensez de votre métier de guide touristique ?
Légalement
parlant, je ne suis pas guide. La formation de guide est très
contrôlée. Pour être guide, il faut la carte professionnelle.
Comme je n’ai pas cette carte, je suis un accompagnateur.
Ce
métier ce n’est pas l’usine (…). Cette expérience est un peu
à part et est une marche en plus. Tu rencontres des gens, tu
sors. J’ai un contrat de travail, un salaire, c’est bien. Je
discute avec des personnes différentes et sympathiques, c’est
intéressant. Puis, ce qui est bien, c’est de leur apporter quelque
chose. Ils sont contents et moi aussi, ça fait plaisir. Je gagne une
confiance en moi (…). Je suis surpris que ça marche aussi
bien.
Comment vous qualifierez le quartier du 20e arrondissement de Paris, où vous faites vos visites ?
Ce
quartier est populaire, actif et vivant, est plein de couleurs,
rempli de gens aux origines différentes. Il y a pas mal
d’associations, des affiches politiques. Dans ce quartier, il y a
une culture de la contestation et du militantisme.
Pouvez-vous me parler de votre parcours scolaire et professionnel ?
Ça
a été simple pour moi d’être actif.
A
la base, je voulais devenir instituteur, professeur des écoles. J’ai
validé en trois ans un DEUG d’histoire à la Sorbonne. C’est là
que ça a commencé à se compliquer. L’ambiance générale de la
Sorbonne, je ne l’ai pas aimée.
A
cette même époque, j’avais de plus en plus envie de partir de
chez mes parents. Il n’y avait pas 36 solutions. Il fallait
travailler et avoir un salaire.
Il
tousse.
J’ai
travaillé à Mc Donald, pendant sept ans. Au final, j’en ai eu
marre. J’ai fait une formation en comptabilité gestion financière.
Après, j’ai travaillé dans un cabinet de comptabilité pendant
six mois, en CDI. J’ai fait une dépression, pour des problèmes
perso. J’ai plaqué mon boulot.
Comment vous êtes vous retrouvé à la rue ?
Mes
parents vivaient à Villejuif (ville,
située dans le Val de Marne).
A leur retraite, ils sont partis en Normandie, dans leur maison de
campagne. C’était hors de question que je les suive. Je n’avais
pas de plan de secours, bah j’ai fini à la rue.
J’ai
vécu un an et demi dans une tente, à Meudon (ville
située dans les Hauts-de-Seine).
Pendant cette période là, j’avais rien du tout. C’est pendant
cette période là que j’ai commencé à faire un travail sur
moi-même. Et avoir entre guillemets, « l’envie de me
réinsérer ».
C’est
pour ça que cette période à été une expérience positive.
Comment êtes-vous sorti de la rue ?
A
un moment donné, on est seul. On se dit « ce n’est plus
possible », « j’aimerai avoir une vie normale ».
Alors
à force, je suis allé dans des structures d’accueil de jour.
C’est là où j’ai rencontré des gens, beaucoup joué aux
cartes, bu des cafés. C’est là où j’ai fait mes démarches
pour le RSA (Revenu
de Solidarité Active).
C’est là où je me suis renseigné sur les endroits où on peut
manger. L’entraide est là.
A
cette période là, j’ai fait du bénévolat pour l’armée du
salut, pour distribuer de la marchandise avec une date limite.
Ensuite,
j’ai rencontré un travailleur social qui m’a fait remplir un
dossier SIAO (qui
organise et centralise l’ensemble des demandes de prise en charge
de ménages « privés de chez soi » ou risquant de
l’être(…) ensuite proposer aux personnes des orientations
adaptées – site du SIAO du 75).
La chance que j’ai eue, c’est qu’en six mois j’ai eu une
réponse positive pour intégrer un CHRS (Centre
d’Hébergement et de Réinsertion Sociale).
Depuis maintenant un an et demi, je partage une chambre qui peut
accueillir deux personnes.
Même
si aujourd’hui je n’ai pas de logement à moi, j’ai un toit où
je peux dormir.
Comment faire changer le regard que portent les gens sur les SDF ?
Il
soupire.
Ah !,
c’est compliqué…c’est compliqué…Ce serait…Essayer de
faire comprendre aux gens pourquoi on tombe à la rue. Ça, ça
serait une bonne chose. Parce qu’on ne tombe pas à la rue pour le
plaisir.
Moi,
dans mon cas personnel, je l’ai un peu cherché. Mais il y a
beaucoup de gens pour qui ce n’est pas le cas. J’avais un CDI et
j’ai fait un abandon de poste. J’ étais pas bien, il y
avait des raisons. Je ne me fouette pas, voilà quoi.
Comment un SDF peut-il se sortir de la rue ?
Il
se racle la gorge et développe.
Quelque
part, pour s’inscrire dans une démarche de s’en sortir, il faut
déjà avoir envie de s’en sortir. Le déclic dépend des gens, des
histoires personnelles. C’est pour ça que c’est difficile de
trouver une solution globale au problème (…). C’est un tout.
C’est un ensemble de choses qu’on ne peut pas séparer. La
confiance, c’est une des clés.
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Vincent,
a postulé pour une formation « qui lui correspond le mieux »
de deux ans, pour devenir moniteur éducateur pour des SDF, car comme
il le dit, avec une pincée d’humour : « les SDF, je
connais un peu ». Toujours avec son sourire qui le caractérise,
il conclut : « je reviendrais pour faire des ballades,
mais en tant que touriste ».
Propos
recueillis par Thomas MASSON
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