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dimanche 29 juin 2014

Le défi d' Alternative Urbaine ? Engager les SDF comme guides touristiques sur Paris

A la découverte d’un arrondissement de l’Est parisien, sous la conduite d’un guide singulier, sans domicile fixe.


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Vincent, le guide touristique de l'association L'alternative Urbaine - ©Thomas MASSON


Une dizaine de touristes sont assis sur les marches de l’église saint Jean-Baptiste de Belleville. Ils s’apprêtent à visiter pendant deux heures le 20e arrondissement de Paris. Ils ignorent que leur guide, Vincent,  est un SDF.

Avant que la ballade ne commence Vincent, accepte de se confier. Cheveux châtain clair, couleur paille, les sourcils broussailleux, il avoue 39 ans.  Il cache ses yeux verts derrière ses lunettes.  Il porte un tee-shirt dessiné à la main, représentant le logo de l’association L’Alternative Urbaine. SDF depuis trois ans, il est devenu guide depuis le mois de février 2014. « Cette expérience est un peu à part, une marche en plus. Tu rencontres des gens, tu sors. J’ai un contrat de travail, un salaire, c’est bien. Je discute avec des personnes différentes, sympathiques, c’est intéressant. Je gagne une confiance en moi ».

La fondatrice de cette entreprise, Selma Sardouk, est une franco-marocaine-algérienne de 25 ans, souriante, discrète, aux volumineux cheveux bouclés. Après avoir fait beaucoup de maraudes, puis du tourisme solidaire pendant deux ans en Amérique Latine et au Maroc, elle fonde en 2013 l’Alternative Urbaine. Son leitmotiv est d’« importer le concept de tourisme solidaire, de casser les clichés sur les SDF et sur le quartier, de faire une bonne action ». Elle précise qu’ « on ne montre pas la vie du SDF, contrairement à ce qui est fait en Allemagne par exemple. Réduire un personne à sa condition de SDF est très stigmatisant ». Vincent effectue cinq visites par semaine et est le troisième SDF de cette structure à faire visiter des quartiers méconnus de Paris.

Cigarette à la bouche, Vincent, exceptionnellement accompagné par un artiste contrebassiste et slameur, commence par montrer un immeuble haussmannien. « Ce genre de bâtiment est relativement rare dans le quartier. Car  le 20è était surtout habité par des pauvres et des ouvriers, raison pour laquelle il y a beaucoup de maisons individuelles, d’auto-constructions ». Vincent explique aussi aux touristes que le quartier est construit sur des buttes. « Ce qui a eu son importance dans les années 1870 pour  mettre des canons, pour résister face aux Prussiens ».

Quittant les trottoirs envahis par les chaises et tables de bars, par les gens attendant leur bus, Vincent mène son public attentif dans des coins de nature. Les touristes découvrent alors plusieurs jardins partagés où poussent bananiers, fraisiers, vignes, tomates, laitues, pommes de terre, piments, fleurs…Un coin où le calme règne et où papillons et bourdons volent.

Pour que la vie pousse, il faut de l’eau. Vincent explique que cet arrondissement était stratégique par la présence de l’eau. Comme en témoigne le nom de « rue des cascades », « rue de la marre », « rue des rigoles » et certaines fondations de regards, permettant d’inspecter les aqueducs du quartier. Un passant, transportant une cagette d’abricots, curieux de ce qui est expliqué par Vincent, s’arrête et tend l’oreille.

Vincent continue de transmettre son savoir. Il révèle que le 20e arrondissement de Paris est bâti sur des carrières de gypse, creusée par l’eau de pluie. Il conclut sa leçon autour de l’eau, en apprenant aux visiteurs que l’eau de Belleville est reconnue au Patrimoine français depuis 2002.

Le cortège repart et il déambule à travers les odeurs de kebab, de poulet rôti, de poissons et de croissants. Tout le long de l’itinéraire, des graffitis, collages, objets, peintures font le mur : zèbres, ours, léopards, hommes de papier. Et aussi  bicyclettes, pansements, visages de plâtres, sirènes…Vincent nomme les artistes locaux les plus connus. « Il y a Fred le Chevalier, qui colle des personnages en noir et blanc, avec une pointe de rouge. Mesnager qui peint à la main un homme blanc.  Nemo qui peint des hommes comme une ombre et des ballons rouges. Mosko et associés qui dessinent des animaux ».

Vincent s’arrête à de nombreux autres endroits symboliques, rappelle l’histoire, raconte des anecdotes. Les touristes découvrent encore une ancienne usine de perles, la maison des « folies » où Mme de Pompadour faisait des soirées inavouables,  l’église Notre Dame de la Croix originale par son architecture circulaire.

Au moment d’arriver sur les hauteurs du parc de Belleville, le vent souffle, chasse le soleil et fait retomber la chaleur. Ce moment coïncide avec la fin de la ballade dans ce parc « culminant à 100 mètres de hauteur, le plus haut parc de Paris ».

Comme Mez, une Anglaise de 24 ans, parisienne depuis deux ans qui trouve la ballade « géniale », tous sont conquis. Thibaut, 26 ans l’a trouvée « beaucoup plus vivante qu’un livre d’histoire ».  Jocelyne, 56 ans, originaire du Val d’Oise s’est sentie « percutée ». Emelyne, photographe de 49 ans s’est sentie « déconnectée », a trouvé cette ballade « magique ». La majorité des touristes ont découvert que Vincent était SDF. Ils trouvent l’initiative réussie.

Vincent a postulé pour une formation de deux ans, pour devenir moniteur éducateur pour des SDF. Il dit avec humour : « les SDF, je connais un peu ». Et conclut, « je reviendrais pour faire des ballades, en tant que touriste ».


Thomas Masson

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